L’École des soumises
Centre de formation pour soumise



On l’appelait comme ça entre nous : l’école des soumises. Officiellement, c’était un centre de formation privé. Un lieu discret, protégé, situé dans un ancien couvent rénové. Un lieu où le silence des pierres racontait encore des prières oubliées, et où chaque craquement de parquet cachait aujourd’hui des gémissements bien moins saints.
J’y suis entrée par curiosité. Une annonce floue, glissée sur un forum érotique. Apprenez l’obéissance, la dévotion, le don de soi. Pour femmes libres et déviantes.
Je ne savais pas ce que je cherchais. Peut-être une manière de fuir le monde. Ou simplement de me retrouver.
Je n’avais pas prévu que mon corps se transformerait dès la première nuit.
Ici, il n’y avait pas de cris. Pas de brutalité gratuite. Juste des règles. Une lente descente vers l’abandon de soi. On nous appelait les élèves, mais ce mot cachait bien autre chose : nous étions les proies, les corps à dresser, les bêtes à soumettre.
Chaque matin, on se levait nue. À genoux. Dans le silence. Une main sur la nuque, l’autre sur le sexe. Interdit de jouir. Mais autorisée à mouiller. Et je mouillais. Tous les jours. Comme une petite chienne offerte.
La première semaine, ils nous ont brisées. Pas avec des coups. Avec des regards. Des gestes. Une pression invisible. Nous étions notées sur notre odeur, notre docilité, notre capacité à obéir sans réfléchir.
Le moindre frisson entre mes cuisses était enregistré. Le moindre battement de cil catalogué. Ils savaient quand j’avais envie. Ils savaient tout.
Un soir, on m’a fait monter sur un piédestal en marbre, au centre de la salle. J’étais nue, jambes écartées, yeux bandés. Ils ont observé. Respiré. Touché. Un seul doigt. Un seul souffle. Et je me suis mise à couler. J’étais trempée de honte, de peur, de plaisir. Une exposition crue de mon vice.
Je devenais autre chose. Un objet ? Une élève modèle ? Une putain bien dressée ? Je ne savais pas. Et je m’en foutais. Tout ce que je voulais, c’était être utile. Offerte. Prête à tout.
Ils nous apprenaient à répondre à des ordres codés. À nous tenir immobiles, les jambes ouvertes pendant vingt minutes. À serrer les cuisses quand on pensait à une voix grave, comme celles qu’on entend dans les lignes de téléphone rose, quand un homme vous parle et vous pénètre par les mots.
Ils nous formaient à devenir des femmes capables de mouiller en silence.
Des créatures dociles, mais dévorantes de l’intérieur.
Je me rappelle d’une séance. On nous avait installées dans une salle sombre. Toutes allongées, nues, sur des matelas humides. Une voix sortait des enceintes. Une voix chaude. Grave. Dominante. Pas un mot vulgaire, mais chaque syllabe vibrait contre mes côtes comme un fouet doux. C’était une conversation cochonne, mais sans paroles explicites. Le ton suffisait.
Je me suis branlée comme une possédée, au milieu des autres. On se caressait toutes, sans se regarder. Nos doigts luisants, nos corps tremblants. C’était un orgasme collectif, bestial, guidé uniquement par le pouvoir de la voix. Comme une session de sexe au téléphone, mais sans téléphone. Juste du son. Du contrôle mental.
On nous entraînait à devenir des reines de l’obéissance sensuelle. Pas seulement dans le lit, mais partout. À la table. Sous la douche. En promenade.
Ils ont fini par nous tatouer. Une petite marque, discrète, juste sous la fesse droite. Une boucle noire. Signe d’appartenance. Je la touche parfois, seule, chez moi. Elle me rappelle cette époque. Cette vie parallèle.
Parce que oui, je suis partie. L’école ne garde personne pour toujours. Trois mois, pas plus. Un trimestre de soumission, d’apprentissage, de métamorphose. Puis on nous relâche. Dans le monde.
Mais on n’est jamais vraiment libérées. On emporte tout avec nous.
Aujourd’hui, je suis une autre femme.
Je vis dans une petite ville. Je travaille dans un service client, derrière un écran, avec un casque vissé sur les oreilles. Ironie douce : je fais de l’assistance par téléphone.
Et souvent, le simple son d’un homme à l’autre bout du fil me fait mouiller.
Je repense à ces jours d’école. À ces nuits passées attachée, tremblante, offerte au plaisir des autres. Je sens encore les traces invisibles sur ma peau. Le goût de la soumission me revient chaque fois que j’entends une voix grave, comme celles des services de téléphone érotique où des hommes cherchent des filles pour parler salement.
Moi, je ne parle plus. Mais j’écoute. Je rêve. Je me touche.
Un jour, j’ai craqué.
Pendant un appel anodin, un client m’a parlé. Rien de spécial, mais son ton… sa manière de dire « merci », cette petite pause dans sa voix… Mon sexe s’est tendu, chaud, mouillé. J’ai posé une main sous la table. Lentement. J’ai cherché mon clito. Et je l’ai frotté. En silence. Le casque sur les oreilles. Le client au bout du fil.
Je n’étais plus dans mon bureau. J’étais de retour dans cette salle, nue, soumise, offerte. J’ai joui fort, sans bruit. Les jambes tremblantes. Le cœur battant. Et une trace humide sur ma chaise.
Je suis sortie des rangs, oui. Mais pas de la soumission.
Je suis une ancienne élève de l’école des soumises.
Je suis une perverse bien élevée.
Et maintenant, je vis mes fantasmes en douce, cachée derrière une ligne téléphonique, entre deux appels professionnels.
Parce que le sexe au téléphone, je le vis à ma façon. Discrète. Sale. Intense.
Et ça me suffit.